Première partie : Du libéralisme économique à la libération de l’économie
- Politique monétaire
- Politique agricole
- le dilemme du secteur privé
- La politique industrielle
Introduction générale
L’objectif de ce cours est de mettre en perspective historique les relations entre croissance économique et développement humain. Plus précisément, il s’agit de tenter un bilan global des politiques économiques mises en œuvre au Maroc depuis l’indépendance.
L’approche adoptée en termes de trajectoires macroéconomiques met en évidence trois périodes, définies chacune par une cohérence d’ensemble : la première s’étend de l’indépendance au début de la décennie 1980.
La seconde correspond au Programme d’ajustement structurel (PAS) mis en œuvre entre 1983 et 1993. La troisième concerne la période allant des années 1990 à nos jours. La structure analytique est commune aux trois trajectoires : dans un premier temps sont passées en revue les politiques économiques (budgétaire, monétaire, industrielle, etc.),. En second lieu l’analyse en termes de régime de croissance est appréhendée dans ses composantes sectorielles et dans ses relations avec son impact sur le développement humain
La rétrospective des résultats obtenus en matière de développement économique et social met enévidence les limites d’une dérivation directe et linéaire du bien-être social des objectifs stricts de lacroissance économique.
La première trajectoire (1960-1981) se divise en deux périodes : entre 1961 et 1972, les politiques budgétaires et monétaires ont été relativement contenues. Au cours de la période 1973-1981, on assiste à un retournement de la conjoncture nationale et internationale. Les prévisions économiques de cette période ont été au-delà des capacités de production du pays. Le secteur privé a pu renforcer les positions qu’il occupait au sein de l’économie grâce surtout à l’appui de l’Etat durant les années 1960 et 1970. Toutefois, débouchant sur une concentration économique et financière sous une forme conglomérale, la promotion du secteur n’a pas pu favoriser l’accumulation productive. Les retombées sur le développement humain ont été, par conséquent, de faible portée.
La seconde trajectoire (1983-1993) marque un tournant dans les politiques économiques, conjoncturelles et structurelles, du Maroc. La crise de la fin des années 1970, accentuée par un contexte de récession internationale, a conduit à l’adoption d’une série de réformes dans le but de rétablir les déséquilibres macroéconomiques. Le PAS se fonde sur l’hypothèse que la stabilisation et la libéralisation (interne et externe) sont à même de générer la croissance économique, le développement social étant considéré comme une résultante de la croissance économique. Dès lors que la stabilisation impose des réductions budgétaires, ce sont surtout les budgets sociaux qui en font les frais. La conclusion tirée del’analyse de la trajectoire fait apparaître les limites des stratégies qui font dépendre l’amélioration de la satisfaction des besoins sociaux de l’observation stricte des équilibres fondamentaux.
La troisième trajectoire (1993-2004) se définit par rapport à un vaste mouvement de réformes ayanttrait à la fois à l’environnement institutionnel et aux objectifs de la politique économique et visant àréhabiliter la composante sociale pour réduire l’ampleur des déficits structurels. Toutefois la prise en compte de la problématique sociale n’a pas manqué de buter sur les limites tracées par la contrainteexterne (poids de la dette extérieure) et par la faible marge de manœuvre, en termes de finances publiques, laissée aux pouvoirs publics. Ces limites expliquent l’évolution de la politique économique au voisinage desseuils d’équilibre propres au PAS et expliquent les faibles impacts en termes d’amélioration des indicateursde développement humain.
Les perspectives qui peuvent être esquissées à partir des analyses précédentes plaident pour unepolitique économique au service du développement humain impliquant une inflexion majeure detrajectoire :
-
- restaurer la souveraineté de la politique économique ;
- opérer un recentrage des dépenses publiques sur les objectifs prioritaires d’un élargissement rapidedes capacités fonctionnelles de base pour une vie digne et décente ;
(iii) redéfinir le régime de croissance autour des principes suivants :
- une reconfiguration du rôle de l’Etat mettant en avant ses fonctions de régulation et développement humain ;
- une insertion internationale maîtrisée et au service du développement national ;
- une croissance plus vigoureuse et plus riche en emplois ;
- une politique industrielle intégrée et incorporant les nouveaux paradigmes technologiques etorganisationnels ;
- une agriculture intensive, compétitive et durable ;
- un renforcement des incitations en faveur des entreprises, combinant recherche d’efficacité et principe d’équité.
Première partie : Les politiques conjoncturelles au Maroc
Des politiques macroéconomiques autonomes (1960-1981)
Chapitre 1: Du libéralisme économique à la libération de l’économie
La trajectoire post-indépendance (1960-1981) a été marquée conjoncturellement par deux périodes : 1961- 1972, et 1973-1981. La croissance du PIB durant la première période a été, en moyenne, de 4,92%, et celle du PIB agricole de 6,31% en moyenne entre 1966 et 1970.
D’un point de vue macroéconomique, les politiques budgétaires et monétaires ont été relativement contenues, sauf entre 1960 et 1965 où l’accroissement des dépenses pour des besoins de reconstruction, notamment politique et administrative, a poussé à des déficits avec leurs conséquences monétaires, déficits qui furent rapidement maîtrisés à partir des années 1966 et 1967.
Au cours de la période 1973-1981, on assiste à un retournement de la conjoncture nationale et internationale. La croissance du PIB était en moyenne de 4,76%, soit à peu près la même que durant la période précédente. Mais si on observe la croissance agricole (-1,86% en moyenne), on constate alors le
rôle joué par la relance budgétaire et par le Plan quinquennal 1973-1977 dans le maintien de la stabilité de la croissance.
Entre 1973-1981, la croissance du PIB a été positive huit fois, et négative une fois, et celle de l’agriculture positive quatre fois et négative cinq fois (-9,3% ; -6,3% ; -12,3% ; -1,7% ; -28,6% en 1981).
C’est aussi à l’issue de cette période que la population marocaine a connue de forts taux de croissance (doublement en 26 ans, de 1955 à 1981) alors qu’elle s’est accrue de 50% en 20 ans (1982-2003).
Les prévisions économiques de cette période ont été au-delà des capacités de production du pays, notamment pour parer aux insuffisances des ressources internes et externes nécessaires et pour faire face aux crises qui allaient survenir avec la mise en oeuvre de ces relances budgétaires et monétaires.
Dans les pays occidentaux où ces relances ont été pratiquées jusque dans les années 1970, ce fut toujours en relation avec le potentiel de production du pays mesurée par la main-d’oeuvre disponible, les capacités de financement du capital nécessaire à la croissance, et surtout un potentiel à l’exportation afin de prévenir tout fléchissement de la balance des paiements qui apparaît quasi parallèlement avec la relance budgétaire.
Manifestement, ce ne fut pas le cas au Maroc durant cette période. Les encouragements à l’exportation sont arrivés assez tard, et l’appareil industriel n’était pas à même de soutenir l’emploi. Et ce fut l’administration qui en a été la structure d’accueil avec des conséquences en termes budgétaires. La croissance économique a donc été certes stabilisée en moyenne période mais elle a été surtout d’un point de vue macro-économique.
Et c’est une nouvelle phase qui s’ouvre à la macroéconomie marocaine à partir de 1981.
Le secteur privé marocain naissant a pu renforcer les positions qu’il occupait au sein de l’économie grâce notamment à l’appui multiforme qu’il a reçu de l’Etat durant les années 1960 et 1970. Le développement de ce secteur va surtout profiter au grand capital aux dépens des petites et moyennes entreprises. Il en résultera une importante concentration économique et financière qui prendra la forme de groupes économiques diversifiés. La logique conglomérale qui préside à la croissance de ces derniers n’a pas toutefois favorisé l’accumulation productive.
Par ailleurs, les performances enregistrées par le secteur privé en matière de développement humain (faible création d’emploi, faible intérêt accordé aux secteurs sociaux, croissance économique modeste) s’avèrent être nettement insuffisantes.
1.1. Structure des dépenses budgétaires : l’augmentation des dépenses de fonctionnement (1955-1983)
Jusqu’en 1973, les dépenses évoluent de manière régulière et lente avec un avantage apparent aux dépenses de fonctionnement suivies des dépenses d’investissement et enfin celles de la dette publique qui étaient très raisonnables.
En effet, d’une année à l’autre, la structure budgétaire de départ adoptée par les gouvernements successifs évoluera lentement, au moins autant que la conjoncture le permet. Cette structure budgétaire est également significative d’une structure économique, sociale et politique du pays.
L’ordre de grandeur amorcé durant la période 1955-1973, concernant les différents postes de dépenses budgétaires, évoluera lentement, mais structurellement avec une tendance à l’augmentation en premier lieu du budget de fonctionnement et, de façon alternative, des dépenses d’investissement puis de la dette publique.
La reconstruction de l’économie et de l’Administration (1956-1973)
Au lendemain de l’indépendance, le Maroc avait besoin de restructurer son économie pour faire face aux impératifs de croissance. Ainsi il a mis en place des plans d’équipement et d’industrialisation (le Plan biennal 1958-1959 et le Plan quinquennal 1960-1964). Ces plans se sont traduits par une augmentation de dépenses publiques, notamment celles de fonctionnement. En effet, l’Etat a commencé à recruter fortement suite au départ des fonctionnaires français et pour occuper les postes.
Suite aux déséquilibres enregistrés durant la période précédente, les pouvoirs publics ont mis en place des plans de stabilisation : le Plan triennal 1965-1967 et le Plan quinquennal 1968-1972. L’exécution de ces plans a permis de réduire le taux de croissance des dépenses publiques, notamment celles de l’investissement.
Une politique macroéconomique volontariste stoppée par un retournement défavorable de la conjoncture mondiale
On assiste à une politique budgétaire volontariste à partir de 1973 dans un contexte économique interne et externe extrêmement instable. En effet, la première partie de cette période (1973-1975) a profité pleinement d’un budget de l’Etat qui semble avoir bénéficié d’un sursis (sortie d’une phase d’équilibre de 1965 à 1972), et lancement d’un plan ambitieux (1973-1977) appuyé sur l’augmentation (un triplement) des prix des phosphates.
A cet égard, les dépenses publiques et surtout les dépenses d’investissement vont connaître une progression phénoménale due à plusieurs facteurs. La politique d’expansion de l’investissement (Plan 1973-1977) n’a pas été l’unique cause de cette explosion. Il y a eu surtout le choc pétrolier de 1973, les dépenses militaires (conflit du Sahara) et l’accélération du taux de croissance de la consommation (41,7% entre 1974 et 1977) suite à une hausse de 26 % des salaires des fonctionnaires, mesure largement suivie par le secteur privé.
A partir de la deuxième partie (1975-1980), la situation budgétaire est entrée dans une phase de déséquilibres dus aussi bien à des facteurs internes qu’externes. Au plan interne, c’est à partir de 1975 que les subventions alimentaires prennent de l’ampleur (huile, sucre, beurre). De même, le triplement du prix des phosphates entre 1973 et 1974 a encouragé les pouvoirs publics à adopter un plan ambitieux (Plan 1973-1977) avec des objectifs importants en matière de programmes d’investissement (barrages, routes,
Constructions scolaires, etc.), de recrutement dans les administrations (51416 emplois ont été créés en 1976 contre 7758 en 1973) et de revalorisation des traitements et salaires (+26%). Avec le retournement de la conjoncture en 1976 (effondrement des cours des phosphates à partir de la fin de 1975), l’activisme budgétaire commence à peser sur le budget de l’Etat.
Parallèlement, les facteurs externes ont commencé à produire leurs effets négatifs
Les différents programmes de dépense, aussi bien dans l’investissement que dans le fonctionnement, ont dû être financés par l’endettement extérieur, avec corrélativement une hausse des taux d’intérêt. La hausse des taux d’intérêt et des prix des matières premières faisant l’objet de subventions (huile, sucre, farine) ont immédiatement pesé sur les budgets. A cela, se sont ajoutés les effets dépressifs de la sécheresse.
Aussi, les effets de la conjoncture interne et externe ont considérablement contrarié, sinon ” anéanti “, les ambitions économiques du plan 1973-1977, et aggravé de façon structurelle la situation budgétaire du Maroc à partir de la fin de la décennie 1970-1980.
Plan quinquennal 1973-1977 : accélération des dépenses d’investissement…
A partir de 1973, les dépenses d’investissement commencent à augmenter de manière rapide dépassant ainsi les dépenses de fonctionnement en 1976-1977 (entre 1975 et 1977 le taux de croissance des dépenses d’investissement était de l’ordre de 131% alors que celui des dépenses de fonctionnement n’était que de
44% !!) . Ceci est dû essentiellement à l’exécution du programme d’équipement intensif du Plan quinquennal 1973-1977. Cette accélération des dépenses d’investissement concernait surtout les grands travaux d’infrastructures (barrages, routes, constructions scolaires et universitaires, etc.).
Les dépenses de fonctionnement ont également augmenté (26% de hausse des salaires dans la fonction publique), ainsi que les subventions alimentaires (huile, sucre, beurre).
… puis effort de stabilisation (1978-1982)
A partir de 1977, on commence à prendre conscience des déséquilibres engendrés par les dépenses publiques.
Aussi, dès 1978, une politique d’austérité et d’assainissement de la situation financière de l’Etat a-t-elle été entamée. Elle a permis de baisser le montant des dépenses d’investissement de 40% en 1978 et de réduire le taux de croissance des dépenses courantes à 13% au lieu de 16% durant la période précédente.
Toutefois, le Plan de stabilisation n’a pas pu être maintenu au delà de 1979 en raison de facteurs à la fois internes mais surtout externes dont, notamment, une faible pluviométrie (en 1981, le Maroc a connu une des plus graves sécheresses de son histoire), la hausse des prix du pétrole et les troubles sociaux de juin 1981 à Casablanca.
En fait, les dispositions prises et les engagements visant à réduire les dépenses de fonctionnement se sont heurtées à un seuil plancher. Ainsi, les revalorisations des traitements de la fonction publique, les subventions des prix à la consommation, les impératifs de développement de l’emploi et le souci d’équilibre social exercent une pression en fil continu, témoignant des difficultés à comprimer les dépenses publiques et à desserrer les contraintes, liées à la gestion de la dette, qui commencent à peser sur la marge de manoeuvre des pouvoirs publiques et sur l’autonomie de la politique économique.
En effet, depuis 1976, les dépenses de la dette ont enregistré une remarquable ascension due essentiellement à la réalisation des objectifs du Plan 1973-1977, celui-ci ayant nécessité la mobilisation de ressources importantes dépassant largement les ressources ordinaires et ce débouchant sur un endettement profond : la dette du gouvernement central par rapport au PIB a plus que doublé entre 1974 et 1981 passant ainsi de 22,4% à 53,38%. La crise des années 1981-1983 a conduit à la mise en oeuvre, sous l’égide du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, du Programme d’ajustement structurel.
Croissance régulière des recettes fiscales (1955-1973) et recours aux emprunts extérieurs (1973-1982)
Depuis l’indépendance, les recettes fiscales progressaient de manière régulière sauf en 1972. Alors que les recettes non fiscales et les recettes d’emprunts, qui étaient assez proches pendant cette période, connaissaient une croissance plus ou moins régulière mais dont le montant reste en dessous de celui des recettes fiscales.
Depuis 1973, les recettes fiscales et non fiscales progressaient de manière importante, mais cette augmentation restait insuffisante pour financer les dépenses colossales entamées cette année là surtout après la baisse du cours des phosphates en 1975. En conséquence, le Maroc a été obligé d’emprunter lourdement à l’extérieur. Il s’agissait d’une période d’accès facile au financement international notamment à partir du milieu des années 1970 ” période de l’argent facile et des pétrodollars”.
Prédominance des impôts indirects et des droits de douane (1955-1982)
Au lendemain de l’indépendance, les impôts indirects et les droits de douanes ont été les plus prédominants dans la composition des recettes fiscales au détriment des impôts directs. Depuis, ces dernières ont fortement augmenté mais sont restées quand même en dessous des impôts indirects. Ceci est dû essentiellement à la politique d’austérité financière poursuivie par les autorités publiques suite à la crise budgétaire de 1964. Cette politique était accompagnée par de nombreux relèvements des taux de quelques impôts directs et surtout des droits et taxes à la consommation. Ainsi, les impôts directs ont été de 730
millions de DH en 1970 et 799 millions de DH en 1972 alors que les impôts indirects se sont élevés à 1532 millions de DH en 1970 et 1628 millions de DH en 1972. En revanche, les droits de douanes ont connu une progression plus ou moins régulière avec 513 millions de DH en 1969 et 599 millions de DH en 1970 et 562 millions de DH en 1972.
A partir de 1973, les trois recettes fiscales commencent à augmenter significativement. Toutefois, les droits de douanes (plusieurs régimes économiques en douane ont été promulgués en 1973) s’accroissent plus rapidement que les autres impôts , renforçant ainsi leur part dans l’ensemble des recettes fiscales au détriment des impôts indirects. La part des droits de douanes est, en effet, passée de 17% à 27% entre 1974 et 1982 tandis que la part des impôts indirects a enregistré, durant la même période, un net recul passant ainsi de 50% à 41%, la part des impôts directs a, quant à elle, régressé légèrement passant de 25% à 23%.
Elasticité des recettes fiscales
Les recettes fiscales représentent la part la plus importante des ressources de l’Etat et leur évolution est généralement proportionnelle à la croissance économique du pays. Ainsi, la hausse ou la baisse des ” rentrées fiscales ” devrait logiquement suivre celles du PIB. Ce qui ne correspond pas toujours à la réalité marocaine. En effet, en termes d’élasticité du système fiscal, on peut présenter l’analyse suivante:
L’élasticité des recettes fiscales, hormis la période 1978-82, est en train de baisser avec le temps. Ainsi :
– entre 1973-1977, elle a été relativement élevée grâce notamment à l’euphorie qu’a connue l’économie marocaine pendant cette période et qui s’est traduite par des recettes fiscales substantielles ; – entre 1978-1982, elle a fortement baissé à cause du plan de stabilisation 78-80. En effet, cet ajustement a eu comme conséquence la réduction de l’assiette fiscale notamment via la maîtrise des dépenses publiques. C’est ainsi que le gel des salaires tend à réduire une source importante d’imposition des revenus et des dépenses. De même, la baisse des dépenses d’investissement, qui influence négativement le PIB, tend à réduire les recettes fiscales potentielles.
Absence de réformes fiscales importantes (1956-1984)
Durant les premières années de l’indépendance, le Maroc s’est contenté de reconduire le système fiscal hérité du Protectorat, tout en prenant soin de relever les tarifs de différents impôts existants pour accroître ses ressources et faire face aux nouvelles charges engendrées par le recouvrement de la souveraineté et l’édification du nouvel Etat postcolonial.
En 1962 a été engagée une première réforme fiscale qui atteint rapidement ses limites. En effet, seul l’impôt agricole a été modifié. Pour le reste, on s’est contenté de quelques aménagements des caractéristiques de certains impôts.
Au début des années 1970, de nouvelles orientations ont été définies afin d’accentuer l’insertion de l’économie marocaine dans l’économie mondiale, notamment à travers la promotion des industries exportatrices. Six codes d’investissement sectoriels et divers régimes économiques en douane ont été
Promulgués en 1973. Depuis lors, l’abondance des ressources d’origine externe a permis de faire l’économie d’une réforme fiscale dont les responsables reconnaissaient pourtant la nécessité depuis longtemps. dans l’ensemble, la structure du système n’a guère changé.
La politique monétaire : Dépenses budgétaires et politiques conjoncturelles 1956-1965 : L’après indépendance; la reconstruction de l’économie et de L’Administration
Au lendemain de l’indépendance, le Maroc avait besoin de restructurer son économie pour faire face aux impératifs de croissance. Ainsi il a mis en place des plans d’équipement et d’industrialisation (le plan biennal1958-1959 et le plan quinquennal 1960-1964).Ces plans se sont traduits par une augmentation des dépenses publiques notamment celles de fonctionnement.
1966-1973 : Une croissance de longue période
Suite aux déséquilibres enregistrés durant la période précédente, les pouvoirs publics ont mis en place des plans de stabilisation : le plan triennal 1965-1967, et le plan quinquennal 1968-1972. L’exécution de ces plans a permis de réduire le taux de croissance des dépenses publiques et notamment celles de l’investissement.
1973-1982 : Politique d’investissement dans un contexte de retournement défavorable de la conjoncture nationale et mondiale
On a assisté à une politique budgétaire volontariste à partir de 1973 dans un contexte économique interne et externe extrêmement instable. En effet, la première partie de cette période (1973-1975) a profité pleinement d’un budget de l’État qui semble avoir bénéficié d’un sursis (sortie d’une phase d’équilibre de 1965 à 1972), et lancement d’un plan ambitieux (1973-1977) appuyé sur l’augmentation (triplement) des prix des phosphates.
La politique d’expansion de l’investissement (plan 73-77) n’a pas été l’unique cause de cette explosion, il y a eu surtout, le choc pétrolier de 1973, les dépenses militaires
(conflit du Sahara) et l’accélération du taux de croissance de la consommation (qui a été de 41,7 % entre 1974 et 1977). Cette croissance est due à une hausse de 26 % des salaires des fonctionnaires, mesure largement suivie par le secteur privé. En outre, La croissance démographique et donc des besoins de la population ont participé considérablement à l’augmentation de ces dépenses.
À partir de la deuxième partie (1975-1980), la situation budgétaire marocaine est entrée dans une phase de graves déséquilibres dus aussi bien à des facteurs internes qu’externes. Parmi les facteurs internes, il est à noter que c’est à partir de 1975 que les subventions alimentaires ont pris de l’ampleur (huile, sucre, beurre)14.Par ailleurs, le cours élevé des phosphates n’a pas duré, et la chute est amorcée à partir de 1976.
Le triplement de ces prix entre 1973 et 1974 avait poussé à l’ambitieux plan de 1973-1977, où d’importants programmes d’investissement ont été lancés (barrages, routes, constructions scolaires, etc…) et l’accroissement considérable des recrutements dans les administrations (51416 emplois ont été créés en 1976 contre 7758 en 1973), et l’accroissement des traitements et salaires (+26 %)15. Au retournement de conjoncture après 1975, il a été difficile de revenir sur l’ensemble des programmes d’investissement ainsi que sur les subventions alimentaires et la hausse des salaires. L’ensemble de ces facteurs internes a donc commencé à peser sur le budget de l’État à partir de 1976-1977.
Les différents programmes de dépense aussi bien dans l’investissement que dans le fonctionnement ont dû être financés par l’endettement extérieur, avec corrélativement une hausse des taux d’intérêt les effets de la conjoncture interne et externe ont considérablement contrarié, sinon « anéanti » les ambitions économiques du plan 1973-1977, et aggravé de façon structurelle la situation budgétaire du Maroc à partir de la fin de la décennie 1970-1980.
- 1978-1982 : Plan de stabilisation
Face aux déséquilibres engendrés par le plan d’équipement intensif 73-77 et aggravés par une mauvaise conjoncture nationale et mondiale, les autorités publiques ont été obligées de recourir au plan de stabilisation 78-80. Ce programme était essentiellement récessionniste (baisse des dépenses)
Cycles budgétaires : de l’activisme à la dérive
Le concept de ” cycle budgétaire “, utilisé ici, désigne une période plus ou moins longue (10 ans en moyenne) au cours de laquelle les pouvoirs publics ne semblent pas réagir aux tendances des finances publiques. Le cycle se termine en général par une crise des finances publiques et donc par une dépression. Deux types de réponse anti-crise sont alors possibles : subir le cycle budgétaire déficitaire et prendre des mesures a posteriori, ou anticiper la crise et infléchir le cycle. Le Maroc est dans le premier cas de figure.
On peut distinguer, sur la première trajectoire, trois cycles budgétaires différents : 1956-1973 ; 1973-1982; 1983-1992.
Un cycle budgétaire relativement sous contrôle (1956-1973)
Deux périodes peuvent être distinguées : la première (1956 à 1964) correspond aux premières années de l’indépendance où le besoin de relancer l’économie s’est traduit par un déficit budgétaire de l’ordre de 8,6% du PIB, en moyenne, entre 1960 et 1964. En effet, la reconstruction de l’économie s’accompagne d’un
accroissement des dépenses supérieur à l’augmentation des recettes.
La seconde période (1965 et 1973) marquée par des déficits budgétaires représentant, en moyenne, 3,4% du PIB, correspond à l’inverse à une politique budgétaire plutôt prudente. La préoccupation majeure des autorités publiques était de limiter l’accroissement des dépenses publiques et donc le niveau du déficit.
Un cycle budgétaire d’expansion/récession : la crise des finances publiques (1973-1982)
Cette phase est caractérisée par une forte progression des recettes et des dépenses publiques due, entre autres, au triplement des prix des phosphates. Ce qui a marqué une véritable rupture dans la tendance du passé en matière budgétaire. Ainsi, la prudence et l’orthodoxie budgétaires ont cédé la place à l’activisme budgétaire, ce qui a conduit à des déficits importants.
En effet, au terme de cette phase, les déficits budgétaires sont entrés dans un processus cumulatif et d’auto-entretien. Ils sont même devenus une donnée structurelle des finances publiques. Ainsi, le déficit budgétaire qui ne représentait que 1,9% en 1973 atteint 14,6% en 1977.
Politique agricole : l’option hydraulique
La crise financière de 1964 a conduit les autorités à solliciter l’intervention de la Banque mondiale dont une mission allait diagnostiquer l’économie du pays et, notamment, souligner l’intérêt pour le Maroc de tirer parti de ses atouts dans le domaine agricole. Les ” recommandations ” de cette mission seront sans doute
déterminantes dans la formulation des choix qui vont structurer la nouvelle politique agricole. A la fin de la même année, la première réunion du Conseil supérieur de la Promotion nationale et du Plan réaffirme la priorité qui sera dorénavant accordée à l’agriculture dans les plans de développement.
Tranchant avec l’option industrialiste alors en vogue dans la plupart des pays du tiers-monde, la position du Maroc s’est singularisée en empruntant une voie ne correspondant guère aux modèles dominants à l’époque. Mais les choix effectués, commandés par des considérations sociopolitiques, vont peser dans la
vision que les responsables auront du développement même de l’agriculture.
Le point de départ de la stratégie agricole des années 1960 est un double constat : le caractère encore ” traditionnel ” de l’agriculture marocaine et le poids de la contrainte climatique. Ce double constat a conduit à l’affirmation d’une double nécessité : ” moderniser ” le secteur traditionnel et réduire l’impact des aléas climatiques par la recherche d’une meilleure maîtrise de l’eau. Cependant, les ressources en capital étant limitées, il s’agissait de chercher à les optimiser, ce qui impliquait, selon le Plan triennal 1965-1967, “de distinguer et de hiérarchiser les actions les plus importantes et dont la rentabilité à court terme ne pourra plus être mise en question”.
- l’édification des barrages pour irriguer la terre,
- concentrer les efforts sur les ” périmètres ” qui sont équipés pour recevoir l’eau, veiller à y constituer des “exploitations viables”, aptes à tirer profit de la mécanisation et de l’intensification des conditions de la production,
- orienter la production vers les ” cultures commerciales ” (sucre, oléagineux, maraîchage, lait, blé tendre, coton…).
- Ces productions étant plutôt destinées à la satisfaction de la demande interne, et inscrites dans une perspective de recherche de ” l’autosuffisance alimentaire “, la promotion des cultures d’exportation (agrumes et primeurs pour l’essentiel) apparaissait d’autant plus importante que le Maroc disposait d’avantages comparatifs : climat approprié, proximité des marchés européens, main-d’oeuvre bon marché.
- Outre l’impact bénéfique sur l’emploi et les revenus, les exportations devaient contribuer à l’équilibre de la balance des paiements et au remboursement de la dette extérieure que l’on projetait de contracter, précisément pour financer les investissements planifiés.
Modernisation et rentabilisation sont donc les deux mots clés de la stratégie qui se met en place. Celle-ci se veut ambitieuse dans ses objectifs et efficace par ses moyens. Ambitieuse parce qu’en termes de stratégie de développement, elle cherche à poursuivre une modalité hybride conjuguant import-substitution et promotion des exportations.
Dès le milieu des années 1960, la politique de l’Etat dans l’agriculture s’identifie à “la politique des barrages”. Ce fut une politique volontariste, globale, et sélective. L’Etat multiplia les instruments d’intervention, directs et indirects, destinés à en assurer l’assise et le succès : investissements publics, subventions, défiscalisation, crédits, politique des prix, encadrement, recherche de débouchés externes.
L’action de l’État s’est d’abord caractérisée par des investissements publics massifs dans les infrastructures de base et les équipements de drainage de l’eau. Au prix d’un effort financier considérable, il devenait possible de poursuivre la réalisation d’un programme ambitieux de construction d’ouvrages de grande
hydraulique et d’équipement de vastes superficies mises ensuite en irrigation (entre 1967 et 1980, on avait construit une quinzaine de grands barrages et équipé près de 300000 ha dans les périmètres irrigués).
Le Code des Investissements agricoles, promulgué en 1969, devait ensuite organiser les conditions de mise en valeur des terres irriguées, favoriser la modernisation des exploitations et l’intensification de la production. Au sein des périmètres d’irrigation, la mise en valeur des terres était décrétée obligatoire et les exploitants devaient respecter des plans d’assolement élaborés par l’administration centrale en fonction des objectifs arrêtés globalement pour le pays. En contrepartie, un impressionnant dispositif de subventions et de primes fut mis en place afin d’encourager l’acquisition des moyens de la modernisation (intrants, matériel agricole et d’irrigation, plantation de vergers, amélioration génétique du cheptel, etc.).
L’eau, facteur de production décisif dans des zones aménagées pour l’irrigation, bénéficia d’un traitement favorable. Outre une contribution symbolique au coût des équipements (5% environ), le prix de l’eau fut maintenu à un niveau très bas, bien au deçà de son prix de revient.
Le Crédit agricole aussi fut aménagé pour favoriser le financement des zones, des exploitations et des productions privilégiées par cette politique. Le dispositif mis en place a largement favorisé, en termes de ressources, les grandes exploitations dans le cadre de crédits de développement.
Sur le plan de la fiscalité, la création de l’impôt agricole débouche dans les années soixante sur l’exonération des neuf dixièmes des exploitants. Par la suite, le défaut de mise à jour des bases d’imposition et le maintien des taux à un bas niveau vont se conjuguer pour aboutir à un dépérissement de l’impôt agricole.
Du reste, au début de la décennie quatre-vingt il ne sera pratiquement plus perçu durant les années de sécheresse. Puis intervint en 1984 la décision royale d’exonérer les revenus agricoles de tout impôt jusqu’à l’an 2000, échéance reportée par la suite à l’an 2010. En ce qui concerne la fiscalité indirecte, on retrouve la même volonté de détaxation. A l’amont, les principaux inputs ainsi que le matériel et le cheptel sont exonérés de la taxe à la valeur ajoutée, et à l’importation des droits de douane. A l’aval, les produits agricoles à l’état frais ainsi que certains parmi ceux ayant subi une transformation sont également exonérés de la TVA. Les produits destinés aux marchés extérieurs sont aussi dispensés de toute contribution fiscale. Au total, et à quelques exceptions près (taxes sur le gasoil et d’accès à certains marchés), on peut considérer que le secteur agricole bénéficie pratiquement d’une quasi-défiscalisation, celle-ci étant supposée constituer un puissant stimulant pour la promotion de l’investissement privé et la modernisation du secteur.
L’Etat a cherché à réglementer les prix de certains produits de base tels les céréales, le lait, et certaines cultures industrielles (betterave, coton, tournesol..), destinées au marché intérieur, et à maintenir libres ceux des produits maraîchers, des agrumes, de l’huile d’olive, produits dont on souhaitait promouvoir les exportations.
Plusieurs productions essentielles (cultures sucrières, oléagineuses, lait, etc.) bénéficièrent même d’un encadrement intégré qui appréhendait l’ensemble de la filière production- transformation- commercialisation, allant du travail du sol et l’avance des intrants à la garantie de l’écoulement de la récolte à un prix préétabli, en passant par l’octroi des crédits nécessaires, le suivi de la campagne par les techniciens des Offices régionaux de Mise en Valeur, l’exécution des traitements phytosanitaires appropriés, etc.
Avec la place de choix accordée aux cultures d’exportation, le modèle agricole mis en oeuvre ne pouvait que prêter une attention toute particulière aux débouchés et partant aux conditions d’écoulement sur les marchés extérieurs des productions concernées. C’est ainsi que, dès 1965, les pouvoirs publics créent l’Office de Commercialisation et d’Exportation (OCE), qui aura jusqu’en 1985 le monopole de l’exportation des principaux 30 produits exportés (agrumes, primeurs, conserves végétales et animales).
Plus décisif sera le pas franchi en 1969 avec la signature d’un Accord d’association avec la Communauté Economique Européenne. Prévu pour une période de cinq ans, ce premier Accord, à caractère principalement commercial, permettait à certains produits agricoles – frais et transformés- d’accéder au marché communautaire en bénéficiant d’abattements douaniers plus ou moins Importants. Les produits industriels et artisanaux, pour leur part, pouvaient accéder au même marché en exemption des droits de douane et autres taxes d’effet équivalent.
Le dilemme du secteur privé à l’époque
Si les premiers fondements du secteur privé marocain ont été jetés durant la période du protectorat, essentiellement, sous la forme de fortunes constituées dans le commerce, la terre et la propriété immobilière urbaine, son essor ne deviendra réellement consistant qu’au lendemain de l’indépendance. Il se fera à la faveur des différentes incitations axées sur la priorité à l’agriculture d’exportation et au tourisme, le développement d’industries de substitution d’importations et l’encouragement de l’association du capital privé au capital étranger.
Si cette politique multidimensionnelle de promotion du secteur privé marocain a permis de renforcer ses positions, elle n’a en revanche pas débouché sur l’éclosion d’une classe d’entrepreneurs ” schumpétériens ” innovateurs ayant le goût du risque, et dont le dynamisme profite au développement du pays.
L’Etat promoteur du secteur privé
L’action déterminante de l’Etat dans la genèse et le développement du secteur privé est attestée par la variété des incitations mises à son service, notamment le système d’incitations industrielles, l’accès aux commandes publiques, la politique du crédit, l’adoption d’une politique de bas salaires et le transfert d’une partie des capitaux étrangers au profit des nationaux dans le cadre de la politique de marocanisation.
Un système d’incitations industrielles
Destiné à encourager le développement de l’industrie nationale, le système d’incitations industrielles mis en place va favoriser dans un premier temps les industries de substitution des importations. Il sera articulé principalement autour des avantages accordés par le Code des investissements et des mesures de protection douanière (taxation et contrôle des importations).
Les codes d’investissement contiennent une série de mesures, principalement d’ordre fiscal, destinées à agir sur les conditions de financement (primes d’équipement, bonification des taux d’intérêt, couverture du risque de change, garantie de transfert, etc.) et à réduire les coûts d’intervention dans le secteur industriel tout en élevant sa rentabilité comparativement à d’autres activités (transactions foncières, immobilières et commerciales).
Les mesures de protection douanière, quant à elles, visent à modifier le prix d’entrée des marchandises importées concurrentes des productions locales et donnent indirectement une prime de compétitivité aux producteurs locaux. L’institution d’un tarif douanier différencié – taxant faiblement les biens d’équipement, les matières premières et les demi-produits au profit des produits de consommation qui supportent des droits de douanes relativement élevées – va aboutir à un développement relatif des biens de consommation courante. Cette protection tarifaire était renforcée par des formes de contrôle direct des flux de marchandises (soit des prohibitions pures et simples, soit des contingents ou encore des interdictions d’importer des marchandises à des prix inférieurs à un prix minimum).
Il y a lieu de relever que, vu les limites du marché intérieur, les pouvoirs publics vont chercher à encourager les industries orientées vers les exportations. A cet effet, plusieurs incitations ont été mises en place, dont notamment les régimes économiques spéciaux en douane (octroi de la franchise de droits de douane sur les matières premières importées et destinées à être incorporées dans la fabrication de produits exportés), systèmes d’assurance et de couverture de change, avantages fiscaux et financiers destinés spécifiquement aux entreprises exportatrices.
Accès aux commandes publiques, conditions préférentielles de crédit et politique de bas salaires
En plus de la budgétisation des investissements d’infrastructure créateurs d’” économies externes “, le soutien de l’Etat au secteur privé prend la forme de :
Commandes publiques de biens et services acquis auprès d’entreprises privées marocaines. L’importance de celles-ci est telle qu’elles rythment de façon
déterminante l’évolution de l’accumulation privée du capital dans bien des secteurs (bâtiment et travaux publics, mobilier métallique et semi-métallique, etc.).
L’accès au crédit à des conditions préférentielles profite certes à l’industrie comme nous l’avons exposé plus haut, mais s’étend également à des secteurs aussi variés que le tourisme et l’hôtellerie, l’immobilier, l’agriculture, etc.
Les crédits d’investissement octroyés par des institutions publiques ou semi-publiques (Caisse Nationale de Crédit Agricole, Banque Nationale pour le Développement Economique, Crédit Immobilier et Hôtelier) offrent plusieurs avantages aux investisseurs privés : outre la durée plus ou moins longue des prêts et les ristournes d’intérêt, le quantum de financement couvre entre 60 et 70% du coût de l’investissement. Par ailleurs, le fait que les taux d’intérêt soient invariables dans un contexte inflationniste (10% en moyenne annuelle durant la
décennie soixante dix) aboutit à rendre le coût de financement encore plus faible.
En termes de salaires, la stratégie macro-économique poursuivie par les pouvoirs publics, tout au long de la décennie 1960, est centrée sur la maîtrise des coûts en travail, et ce à travers le blocage du SMIG. Dans cette optique, le salaire est perçu comme un coût et non comme un pouvoir d’achat susceptible de dynamiser le marché intérieur. La demande à satisfaire est, elle, fondamentalement tributaire des marchés extérieurs, de la dépense publique et des dépenses des couches sociales moyennes et aisées. Cette politique de bas
salaires est accompagnée d’un régime de sécurité sociale qui ne profite qu’à une minorité de salariés.
La marocanisation de 1973
Les dispositions principales de la marocanisation telles qu’elles se dégagent du dahir du 2 Mars 1973 permettent de saisir l’ampleur de l’impact de cette opération sur le développement du secteur privé. La loi en question établit deux listes d’activités :
- sur la première figurent, outre les activités commerciales, de l’importation et la représentation à la vente au détail, toutes les activités concernant le bâtiment et les travaux publics, tous les transports, tout ce qui touche à l’automobile, le leasing, les agences de publicité, les sociétés de crédit, l’entrepôt et le magasinage, la gérance d’immeubles, les industries alimentaires et l’industrie des engrais. Toutes ces activités devaient être marocanisées avant 1974.
- Dans la deuxième liste figurent des activités ” marocanisables ” avant Mai 1975, notamment les banques, les assurances, et les activités commerciales et industrielles concernant les produits suivants : minoteries et pâtes alimentaires, liège, cuir, montage de véhicules, matériel électrique et électronique, etc.
Cette vaste opération de marocanisation a permis un réel transfert du pouvoir économique au profit des partenaires nationaux qui, de la sorte, ont pu prendre pied dans plusieurs secteurs de l’économie marocaine.
Ce transfert a été d’autant plus important qu’il s’est étendu, par effet de contagion, à des secteurs qui n’étaient pas concernés directement par le dahir de mars 1973, notamment l’agriculture ( rachat massif des terres de la colonisation estimé globalement à 500 000 hectares) et l’industrie de transformation.
Les groupes économiques : noyau du secteur privé
Apparus pour l’essentiel durant les années 1970, les groupes économiques privés sont le résultat de la conjonction de deux facteurs principaux : la nécessité pour certaines familles marocaines de s’associer pour surmonter la contrainte de financement dont souffrent beaucoup d’entreprises personnelles et familiales, et l’association – substitution au capital étranger dans le cadre de la marocanisation.
La formation des groupes privés marocains est une des manifestations du processus de concentration de la propriété du capital qui va profiter essentiellement aux familles commerçantes et à certains propriétaires fonciers.
L’accès privilégié à l’appareil administratif de l’Etat, la proximité du pouvoir politique et la création de liens de coopération et de solidarité avec les dirigeants économiques étrangers dans le cadre d’associations de producteurs, de comités techniques et professionnels vont être déterminants dans la configuration du secteur privé marocain au sein duquel le grand capital privé va occuper des positions importantes.
C’est le cas du secteur agricole où une certaine concentration foncière est observable au sortir de la décennie soixante dix : à peine un millier de propriétaires et/ou exploitants agricoles privés contrôlent, de façon inégale, quelque 500 000 hectares – dont 100 000 complantés et 120 000 irrigués de façon moderne -, soit l’équivalent de 6,6% et 9% de la superficie totale cultivée ou cultivable au Maroc.
Une centaine parmi eux détient, en outre, 20% à 25% environ du cheptel ovins et bovins de race importés et élevés selon les méthodes modernes. Des estimations plus récentes font état d’un degré de concentration foncière plus élevé (4,1% des exploitations de plus de 20 hectares contrôlant 32,9% des terres agricoles en 1996).
Les grands exploitants se distinguent par l’étendue de leur base foncière qui peut prendre des formes juridiques (propriétés agricoles personnelles ou sociétés), le recours au capital bancaire (on estime que 63% des crédits de la CNCA ont été alloués aux agriculteurs les plus aisés), l’emploi de main-d’oeuvre salariée et une production basée sur les technologies modernes et orientées vers le marché.
Donnant la priorité à la minimisation des risques, la stratégie de ces grands exploitants est plus orientée vers la valorisation de rentes que vers le risque de l’engagement des capitaux. Les politiques de soutien des prix les y invitent, de même que les subventions à l’investissement dont les politiques publiques sont porteuses. Ils opèrent de préférence pour les marchés les plus contrôlés et soutenus, comme ceux des céréales, des huiles ou du sucre. On devrait également souligner l’importance prise par les cultures d’exportation (primeurs, agrumes, maraîchage).
C’est aussi le cas du commerce de gros qui constitue l’espace initial d’accumulation du secteur privé. En 1984, les dix premières entreprises réalisaient 47,65% du chiffre d’affaires total de ce secteur parmi lesquelles quatre étaient contrôlées par des intérêts familiaux marocains (Afriquia, Somepi, Somablé et Socopros).
L’immobilier urbain constitue également un champ d’activité privilégié du secteur privé marocain. Activité à rentabilité élevée, l’immobilier urbain connaissait une relative concentration de la propriété : ainsi on estimait que vers la fin des années 1960/début des années 1970, moins d’une centaine de personnes détenaient 30% des terrains urbains non bâtis à Marrakech, 18% à 20% à Casablanca et Fès, des proportions moindres à Beni-Mellal, Khémisset et Nador.
La prédominance du contrôle familial dans le secteur du bâtiment et des travaux publics trouve son origine aussi bien dans la faiblesse du risque encouru et des capitaux immobilisés que dans la pression exercée, dès le lendemain de l’indépendance, sur l’administration par l’entreprise marocaine de travaux publics pour l’amener à lui confier une partie au moins des commandes publiques.
La marocanisation aidant, le secteur privé marocain parvient à s’adjuger à la fin des années 1970 une bonne partie des marchés à réaliser tant dans certains grands travaux que dans les marchés de moyenne importance (fondations spéciales, ponts, etc.) et ceux du bâtiment (construction d’immeubles scolaires,
industriels, commerciaux) à cette exception notable que les travaux très importants (barrages, ports, etc.), qui représentaient environ 20% à 30% du marché des travaux, revenaient en exclusivité aux entreprises internationales (en association parfois avec leurs filiales marocaines).
Pour ce qui est des industries de transformation, elles sont dominées pour les trois quarts du total du capital social par le secteur privé, avec un rapport entre capitaux privés marocains et étrangers de quatre à un.
L’implantation du secteur privé marocain dans les industries de transformation se fera à la faveur des mesures d’incitation et de protection prises par les pouvoirs publics pour encourager l’investissement privé industriel de substitution aux importations. Elle sera également favorisée par la faiblesse des barrières à l’entrée caractérisant les industries de biens de consommation courante et par l’existence d’une demande interne solvable.
Au début des années 1980, une double concentration caractérise ce secteur : une importante concentration financière (part des ressources économiques de l’industrie manufacturière détenue par une minorité d’individus et de familles) et économique (pouvoir de marché détenu par les principales firmes dans les différentes branches industrielles).
Concernant le premier aspect, on estime que les principaux groupes et familles contrôlaient 55% des capitaux industriels privés marocains, alors que les dix premiers en contrôlaient plus de 30%. Ces capitaux étaient fortement engagés dans les branches suivantes : industries alimentaires (industries du lait, des conserves et des corps gras), industrie du cuir et des chaussures, industrie textile et, accessoirement, industrie du bois et articles en bois.
Le pouvoir économique exercé par les groupes et les grandes familles sur l’industrie de transformation était d’autant plus important qu’il était lié à l’exercice d’importants pouvoirs de marché (le plus souvent à caractère horizontal) par les firmes privées marocaines. Ces dernières monopolisaient souvent à elles seules les positions dominantes sur les différents marchés de biens de consommation courante qui étaient fortement concentrés (16 branches sur 23, représentant 34,2% de l’ensemble des effectifs de l’industrie de transformation, avaient un taux de concentration industrielle supérieur à 33 %).
Quant au secteur financier (banques et assurances), le capital privé n’y occupait jusqu’au début des années 1970 que des positions subalternes. Toutefois, et à la faveur de l’opération de marocanisation impérative de 1973, il parviendra à faire porter son taux de participation à 27,5% du capital bancaire total en 1975, puis à 26-30% en termes réels, voire à 36% et 40% sans tenir compte de la Banque Centrale Populaire.
La même évolution est observable pour les sociétés d’assurances : la part du capital marocain dans le capital social cumulé des dix sept compagnies implantées au Maroc s’élevait à environ 61 % en termes juridiques et 55% en termes réels. Considérée séparément, la part du secteur privé marocain variait, selon les cas, entre 49 (structure juridique) et 43% (structure réelle).
Au sortir des années 1970, le trait dominant des participations du capital privé marocain dans le secteur financier était leur concentration entre les mains d’un nombre réduit de groupes d’intérêt familiaux.
→ Dans sa forme avancée, le secteur privé est organisé sous forme de groupes économiques. Ces derniers peuvent être animés par une ou plusieurs familles formant une coalition d’intérêts. Ils sont constitués d’un ensemble de sociétés coiffé par un holding ayant des fonctions de financement, d’impulsion et de contrôle.
Enfin, les groupes privés étendent leurs activités à plusieurs secteurs de l’économie : l’industrie, la finance, l’immobilier, le commerce, le bâtiment et les travaux publics, etc. Cette diversité des activités permet au groupe d’atteindre une taille suffisamment importante pour le distinguer des grandes entreprises
indépendantes ou des groupes personnels dont la taille est plus modeste et le champ d’activité plus restreint. Elle suggère aussi que ce ne sont pas tellement les motivations technico-économiques (recherche d’économies d’échelle, intégration verticale…) qui sont derrière la formation du groupe.
→ L’autre forme de structuration du secteur privé est constituée par l’entreprise personnelle et familiale indépendante. En 1984, on dénombre 10410 entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions de dirhams sur les 11906 entreprises non financières soumises au régime d’imposition du bénéfice net réel, soit 87,4%. Bien que fortement majoritaires en nombre, ces entreprises ne réalisaient que 13,2% du chiffre d’affaires total, 14,6% de la valeur ajoutée et n’employaient que 21,7% des effectifs totaux. Ces entreprises à caractère personnel et familial affirmé, étaient implantées surtout dans le 35 commerce, le ” bâtiment et travaux publics “, certaines branches de l’industrie de transformation (confection, agro-industrie, cuir et chaussures, etc.) et le secteur ” autres services ” (services fournis aux entreprises, affaires immobilières, etc.).
Bien que dotées d’importants atouts – flexibilité due à la facilité des communications internes et à la rapidité de la prise de décision, une plus grande productivité au travail des membres de la famille du fait de leur forte motivation -, les entreprises personnelles et familiales voient leur croissance fortement entravée par une structure financière fragile (faiblesse des capitaux propres) et un mode de gestion ” familial” (aversion pour le risque, confusion entre les affaires personnelles et familiales et la propriété de l’entreprise, un horizon temporel court et la monopolisation de l’encadrement supérieur par les membres de la famille pour des considérations qui n’ont pas de lien avec la compétence, etc.).
Faible impact du secteur privé sur le développement Le désir de l’Etat de promouvoir le secteur privé marocain ne sera pas récompensé par une accélération du taux de croissance économique, une forte création d’emplois et l’amélioration des indicateurs du développement humain. S’il est vrai que le secteur privé a pu renforcer ses positions au sein de l’économie nationale grâce à l’aide multiforme de l’Etat, son comportement économique demeure plus rentier que de type schumpétérien.
La modestie des taux de croissance économique est nette durant la décennie 1960. Certes, une accélération va se produire durant le quinquennat 1973-1977, (le taux de croissance annuel moyen atteignant 6,8%), tirée surtout par l’investissement public et le secteur du bâtiment et des travaux publics (le secteur public va prendre en charge 42,5% des investissements prévus par le Plan 1973-77 contre 20,6% seulement pour le secteur privé).
S’il est vrai que le secteur privé a contribué au développement de certains secteurs de l’économie nationale (industries de substitution d’importations, cultures d’exportation), il n’en reste pas moins que cette contribution s’est faite au prix de multiples distorsions. De plus, la logique conglomérale présidant à la croissance des groupes privés ne semble guère favoriser l’accumulation productive.
Croissance industrielle et allocation sous-optimale des ressources Les industries développées par le secteur marocain n’ont pas utilisé de façon optimale le stock de ressources productives, donnant la préférence aux techniques ” capital using ” aux dépens de la création d’emplois. En outre, le processus d’industrialisation par substitution d’importations a favorisé la déformation des structures productives à travers la concentration industrielle, l’apparition de capacités oisives et la multiplication des activités semi-artisanales.
La concentration industrielle résulte de la conjugaison de trois facteurs principaux : la protection douanière, les différentes incitations (notamment fiscales et financières), à l’industrie locale et l’adoption de techniques intensives en capital face à un marché intérieur aux dimensions étroites. Elle a, de ce fait, donné naissance à d’importants pouvoirs de marché avec des effets négatifs sur les prix et la concurrence.
La politique industrielle : Aperçu historique sur la politique industrielle du Maroc : du volontarisme industrialisant à l’ajustement structurel
Objectifs et implications de la politique industrielle au cours de la décennie 1970
Dans les plans de la décennie 1960, le souci de développer les exportations a été associé à l’objectif de valoriser les ressources naturelles locales (agricoles, halieutiques et minières) ou encore d’appuyer le processus d’import-substitution.
Dans une deuxième phase, débutant en 1973, l’État adopta comme objectif la diversification des industries d’exportation, sans pour autant rompre avec la stratégie d’import-substitution.
Le marché d’exportation est conçu plus comme un exutoire, compensant l’étroitesse du marché intérieur.
Le plan 1973-1977 marquera un revirement. Désormais, parallèlement à la volonté de renforcement du contrôle national sur l’appareil productif (la marocanisation), l’État se propose de promouvoir de manière plus volontariste un certain nombre de secteurs
Les instruments de la politique industrielle : la fonction d’incitation
Il s’agit principalement des avantages attribués par le Code des Investissements et des mesures de protection à travers la taxation et le contrôle
des importations.
- Le code des investissements
- Le premier, en date du 13 septembre 1958, prévoyait le remboursement des droits de douane sur les biens d’équipements, la réduction des droits d’enregistrement, le bénéfice des amortissements accélérés,
- Le code de 1960 offrait des avantages plus substantiels : une prime à l’investissement, une provision en franchise d’impôts pour l’acquisition du matériel, l’exonération pure et simple des droits de douane au lieu de leur remboursement
- En 1973, après l’adoption du Dahir de marocanisation, des textes de lois relatifs aux divers secteurs économiques (industrie, artisanat, tourisme, exportations, maritimes et mines) formèrent un dispositif d’encouragement aux investissements
Les avantages octroyés par le code de 1973 : exonération des droits de douanes, de la taxe sur les produits, des droits d’enregistrement, de l’impôt des patentes, garantie de retransfert des dividendes et des capitaux, ristourne de 2% des intérêts sur les crédits B.N.D.E.
- Commerce extérieur et protection douanière
La protection se donne comme objectif de modifier le prix d’entrée des marchandises importées, concurrentes des productions locales, et de donner indirectement une prime de compétitivité aux producteurs locaux. Elle constituera l’ossature de la politique de substitution aux importations appliquée jusqu’aux années quatre-vingt dix.
- Les interventions directes : la formation des entreprises publiques
Une multitude d’entreprises publiques dans des secteurs d’activité très diversifiés furent créées pour prendre en main les attributs de la souveraineté (Banque du Maroc), de dégager de l’emprise étrangère des services publics d’importance vitale
(ONCF, ONE, RAM, COMANAV), d’encadrer la politique agricole (l’office national d’irrigation), de promouvoir l’industrialisation (BEPI, SOMACA) et le commerce extérieur (OCE), de soutenir financièrement le secteur privé (BNDE), etc
Les investissements publics furent prédominants durant la décennie 1960. L’État intervenait, soit, en investissant seul (sucreries), soit en association avec des capitaux étrangers.
Les réalisations les plus importantes furent dans le domaine de la chimie avec la création de Maroc-Chimie en 1962, l’extension des Cimenteries de Tétouan et de Meknès en 1962 et de la Cellulose du Maroc en 1970. L’État participa également à la création d’unités de montage de véhicules lourds (Berliet-Maroc) et de tourisme (SOMACA).
L’organe principal de l’État dans le domaine des investissements industriels était le BEPI. Celui-ci fut transformé, en 1973, en Office pour le Développement Industriel (ODI), avec pour mission générale la promotion industrielle et l’accompagnement de l’investissement privé.
- De la réforme des entreprises publiques au projet de privatisation
L’accroissement du poids de la propriété ne s’est effectué ni à partir d’une logique parfaitement planifiée et programmée, ni sur la base d’une gestion satisfaisante pour l’ensemble des entreprises publiques.
Toutes les entreprises publiques ne sont pas déficitaires. Un grand nombre d’entre elles est en état d’équilibre et réalise, parfois, d’importants bénéfices. L’une des préoccupations majeures de la gestion des entreprises publiques tient à l’importance des fonds budgétaires nécessaires pour maintenir leur équilibre financier. Près de dix pour cent des dépenses publiques de fonctionnement sont allouées à ce secteur
La prolifération des entreprises publiques a conduit à un élargissement excessif et injustifié. On observe également des erreurs de gestion et des vices de structure, notamment la confusion entre les missions de gestion et de contrôle, l’inadaptation des règles comptables et de leur application.
Titre 2 : La situation du secteur industriel à la veille de l’ajustement
La politique industrielle est restée dominée par le souci de promouvoir une classe d’entrepreneurs, avec une prise en charge par l’État de la constitution d’une partie importante du tissu industriel, par celui de favoriser la valorisation des ressources agricoles et minières locales et de garantir aux producteurs locaux la plus grande part possible du marché intérieur Mais, la politique industrielle est restée dominée par les autres objectifs (création d’une classe d’entrepreneurs, protection dans une perspective d’import-substitution).
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