PRÉSENTATION
Libéralisme (politique, économie), ensemble des doctrines politiques et économiques qui font de la liberté individuelle, définie comme un droit naturel, la valeur suprême que toute collectivité humaine doit garantir et promouvoir.
L’unité indissoluble du libéralisme politique et du libéralisme économique, postulée par les théoriciens libéraux, peut cependant apparaître problématique et donner lieu à une interrogation sur le caractère opératoire de ce principe.
ORIGINES DU LIBÉRALISME
Le libéralisme ne constitue pas un véritable corps de doctrines, et l’on peut davantage parler à son propos d’une aspiration partagée par un certain nombre de penseurs que d’une théorie uniforme. Cependant, il est possible de dater son apparition au XVIIe siècle avec la philosophie des droits naturels, formulée par John Locke, qui constitue l’un de ses premiers fondements.
Contre Thomas Hobbes, théoricien du pouvoir absolu, John Locke, partisan de la limitation des pouvoirs du souverain, s’appuie sur une théorie des droits naturels : selon lui, dans la mesure où les hommes jouissaient dans l’état de nature d’un certain nombre de droits, antérieurs à toute société politique et par là même imprescriptibles, un contrat est certes nécessaire pour passer de l’état de nature à l’état social, mais ce contrat social ne peut avoir pour effet d’abolir les droits naturels des individus et doit seulement les codifier. Le souverain se voit donc contraint de respecter ces droits naturels des hommes que sont la liberté et l’égalité, mais également la propriété privée et la sûreté personnelle.
Cette conception du pouvoir, nécessairement limité, que l’on retrouve par exemple chez Montesquieu, est caractéristique du mouvement des Lumières : dans une perspective individualiste centrée sur l’homme, la liberté devient le but de toute société mais aussi sa condition nécessaire, ce que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée dans le contexte de la Révolution française, viendra inscrire de manière irrévocable dans la tradition politique.
LIBÉRALISME POLITIQUE ET LIBÉRALISME ÉCONOMIQUE
Dans sa variante politique, le libéralisme cherche à définir le type de régime qui permettra de garantir au mieux le respect de ces droits et de se prémunir contre les éventuels empiétements de l’État. L’État est ainsi pensé chez l’ensemble des libéraux comme un État minimal, voué à ses missions de régulation, qui s’oppose à l’État absolu du XVIIe siècle. À des titres divers, Jeremy Bentham et John Stuart Mill en Grande-Bretagne, Mme de Staël, Guizot, Royer-Collard, Tocqueville et surtout Benjamin Constant en France sont, dans la première moitié du XIXe siècle, quelques-uns des principaux acteurs du courant libéral.
Du côté français, on s’efforce de tirer les enseignements de la période révolutionnaire, en cherchant à déterminer comment on pourrait consolider les acquis de la Révolution tout en évitant à l’avenir la dérive despotique du régime symbolisée par l’Empire de Napoléon Ier. Dans ses Principes de politique (1815), Benjamin Constant s’applique à délimiter les droits naturels imprescriptibles, dont font partie la liberté religieuse, la liberté d’opinion et la jouissance de la propriété. Dans un tel système, le rôle de l’État doit se borner à garantir l’exercice de ses libertés. À cet effet, l’ensemble des libéraux du XIXe siècle mettent l’accent sur les mécanismes de limitation du pouvoir, au nom d’un ordre naturel fondé sur la diversité humaine, garantissant la liberté et le bonheur, et préexistant à toute société politique.
Le libéralisme politique se veut donc une éthique, reposant sur les aspects positifs de l’homme, conception qu’illustre bien, par exemple, l’utilitarisme d’un Bentham, pour lequel est utile ce qui est moralement justifiable.
Dans sa variante économique, le libéralisme s’applique à la défense de la liberté individuelle sur le marché. C’est en France que l’on voit se développer au début du XVIIIe siècle les contributions les plus importantes à cette doctrine économique. En s’appuyant sur la théorie des droits naturels, des économistes physiocrates comme Pierre de Boisguillebert ou François Quesnay s’opposent au mercantilisme incarné par les successeurs de Colbert et dénoncent l’intervention économique de l’État. Pour ces auteurs, les individus doivent être laissés libres de poursuivre leur intérêt particulier puisque l’ordre social qui en résulte est le meilleur possible. Il existe en effet des lois naturelles qui permettent de concilier l’intérêt personnel et le bien-être général : ces lois sont celles du marché, régi par les principes de la concurrence pure et parfaite. La formule « laissez-faire, laissez-passer », du physiocrate Vincent de Gournay, résume cette première formulation du libéralisme en matière économique.
Ces idées sont reprises par les économistes classiques britanniques de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe : dans la Richesse des nations, publié en 1776, Adam Smith évoque une « main invisible du marché » qui, grâce aux prix, assure la coordination des intérêts individuels et conduit à un résultat profitable pour tous, sans qu’à aucun moment un acteur quelconque ait eu à sa charge la responsabilité de l’intérêt général. Le marché assure ainsi bien-être et résolution des conflits. Dans ce cadre, l’intervention de l’État doit être réduite au maximum. Pour Smith, l’État doit être défini comme un « État gendarme », un État minimal, qui a pour seule fonction de veiller au respect des conditions de concurrence pure et parfaite, de permettre l’exercice de la liberté individuelle et, le cas échéant, de pallier les rares défaillances du marché. Au XIXe siècle, David Ricardo, Malthus, John Stuart Mill, en Grande-Bretagne, Jean-Baptiste Say, en France, prolongent la réflexion d’Adam Smith et font des années 1820-1914 l’âge d’or du libéralisme économique.
La conciliation du libéralisme politique et du libéralisme économique peut paraître problématique dès lors que l’on se réfère à l’application des principes : un État mettant en œuvre une politique économique dite libérale peut parfaitement, en effet, le faire dans le cadre d’un système qui ne satisfait pas aux principes du libéralisme politique. Néanmoins, cette conciliation n’est pas contestable du point de vue des principes, qui postulent que ce ne sont pas les rapports économiques qui organisent les rapports politiques, mais bien les fondements du libéralisme qui, transposés dans une autre sphère (le marché, libre lieu de confrontations et d’échanges, n’étant que la traduction de l’indétermination et du choix des individus), manifestent l’aspiration universelle à la liberté.
LIBÉRALISME ET DÉMOCRATIE LIBÉRALE
L’influence du libéralisme au XIXe siècle ne saurait mieux se manifester que dans la diffusion progressive du modèle de démocratie libérale, régime au sein duquel se réalise la conciliation du libéralisme politique et du libéralisme économique. Si, à la fin du XIXe siècle, l’Europe occidentale, pour l’essentiel, et l’Amérique du Nord sont les principales aires de diffusion du modèle de démocratie libérale, un nombre croissant de pays l’ont adopté au cours du XXe siècle.
Le régime de la démocratie libérale se définit avant tout par la participation, directe ou indirecte, des citoyens à la vie publique : c’est en cela qu’il est démocratique. Mais il est également libéral : le régime a en effet pour but de maintenir et de défendre les libertés individuelles progressivement acquises en Occident depuis la fin du XVIe siècle.
Les libertés politiques comme la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté de conscience, la liberté d’expression, c’est-à-dire le droit d’exprimer ses opinions sans être inquiété, sont garanties par un système politique représentatif, c’est-à-dire par une Constitution et par l’existence d’Assemblées parlementaires où siègent les représentants élus de la nation, qui ont seuls le droit de voter les lois et les impôts.
Les libertés économiques vont de pair avec la liberté politique : l’État se proclame le défenseur des deux postulats de base que sont l’initiative individuelle et la propriété privée. La liberté sociale, sœur de la liberté économique, implique enfin que l’État ne doit pas intervenir dans les rapports sociaux, et tout particulièrement dans les rapports entre patrons et salariés. La forme politique du régime peut différer d’un pays à l’autre : certaines démocraties sont des monarchies, d’autres des républiques. Mais partout les mêmes principes fondamentaux sont respectés.
OPPOSITIONS ET ÉVOLUTIONS
Le libéralisme, bien qu’influent, n’est pas la seule doctrine politique à marquer les XIXe et XXe siècles. Nombre d’auteurs se sont en effet opposés au libéralisme, tant du point de vue politique qu’économique.
Parmi ces adversaires, les plus importants sont sans conteste les penseurs qui se réclament du socialisme. Au-delà de leur diversité, réelle, les socialistes ont en commun de faire primer l’égalité sur la liberté, le collectif sur l’individuel et, bien souvent, les rapports économiques sur l’organisation politique. Selon eux, le libéralisme est l’idéologie d’une classe particulière, la bourgeoisie, qui, jouant sur l’ambiguïté entre libertés formelles et libertés réelles, profite d’un système qui postule l’égalité de tous pour établir sa prospérité et sa domination aux dépens des autres classes sociales. La liberté est essentiellement la liberté du plus fort et, sans réelle égalité, la libre concurrence a pour conséquence l’exploitation des plus faibles.
Ils considèrent donc que l’État doit intervenir : au lendemain de la révolution de 1848, des auteurs comme Louis Blanc estiment que l’État est « une machine de progrès », apportant à l’homme les conditions de son perfectionnement.
Mais les socialistes ne sont pas les seuls adversaires du libéralisme : en 1832, l’Église catholique condamne également ceux qui, parmi les siens, se réclament du catholicisme libéral et souhaitent l’alliance du clergé et de la démocratie. Par une encyclique, le pape exprime son opposition à la liberté de conscience, qualifiée d’« opinion absurde et erronée », et à la liberté de la presse, « la pire de toutes, que l’on ne pourra jamais assez exécrer et maudire ».
C’est toutefois le libéralisme économique qui, bien plus que le libéralisme politique, suscite les critiques les plus fortes. Marx et le marxisme avaient, dès la fin du XIXe siècle, considérablement affaibli la foi que l’on pouvait avoir dans les mécanismes autorégulateurs du marché. Mais c’est John Maynard Keynes qui, par la publication de sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, apporte en 1936 la preuve décisive du caractère faillible du marché, et donc de la nécessité d’une intervention de l’État, seul à même de résoudre la question du chômage.
Les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale se caractérisent ainsi par un interventionnisme croissant de l’État dans le domaine économique et social : pour les économistes d’inspiration keynésienne, l’État doit non seulement se substituer au marché lorsque celui-ci est incapable de produire tel ou tel bien, mais il doit également agir sur la répartition des richesses et sur le niveau de l’activité économique. L’État n’est plus seulement « gendarme », il est également « providence », ayant pour charge d’assurer la prospérité (welfare, en anglais) de chacun.
Face au keynésianisme, une contre-offensive libérale se dessine : à la fin des années soixante, l’incapacité du keynésianisme à combattre la crise mondiale naissante permet à des auteurs comme Milton Friedman ou Friedrich August von Hayek de se faire entendre. Ceux-ci voient dans l’interventionnisme de l’État la cause des difficultés contemporaines et proposent un retour aux sources du libéralisme. Selon eux, le chômage ne disparaîtra qu’à la condition de libérer les individus et le marché des contraintes qui les entravent. L’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, de Ronald Reagan aux États-Unis, au début des années quatre-vingt, peut être considérée comme l’apogée de cette nouvelle vague libérale. Celle-ci connaît toutefois un reflux dans les années quatre-vingt-dix.
Les économistes sont en effet aujourd’hui beaucoup plus circonspects vis-à-vis du libéralisme qu’ils ne l’étaient il y a dix ans. Les nouvelles théories de la concurrence ou de la croissance ont suscité un regain d’intérêt pour l’intervention de l’État. Sans que ces évolutions marquent un retour aux doctrines strictement keynésiennes d’antan, il n’en demeure pas moins que les nouvelles générations d’économistes apparaissent plus interventionnistes que la précédente.
Laissez un commentaire